Bienvenue sur la Rhapsodie du Fennec. Il s'agit de mon second roman feuilleton, indépendant du premier, Smile of Darkness. Au rythme d'un épisode par semaine, j'espère vous embarquer dans cette fabuleuse aventure. N'hésitez pas à réagir, commentez, vous inscrire et parler avec moi. Faites moi part de vos avis et critiques.
Mais place aux épisodes, j'espère que leur lecture vous sera agréable !

jeudi 3 novembre 2011

Journal de Tim : Terraba

Littéralement en ancien langage, Terraba signifie "l'ame de la terre".
A l'origine il s'agissait d'un petite cave de 300m sur 200. Elle était éclairée par les milliers de lucioles qui flottaient au plafond de la cité, éclairage commun à presque toute les Caves depuis que l'on a découvret que leur lumière repoussait le Démon.
L'histoire de Terraba est liée de près à celle d'un Autre très particulier, du nom de Surt. Contrairement aux Autres tels les lucioles, chauve-souris et araignées, et autres specimens trop peu connus, Surt dispose d'une conscience et de pouvoirs faramineux de controle de la chaleur et du feu. En ancien langage le terme Autre se traduirait par "animal".
Son importance provient de l'unique attaque dont Terraba a été victime. En, effet, Nexus avait brisé la paroi de la Cave qui la séparait d'un fleuve souterrain. Après avoir été repoussé par le son du violon de Mme Jybie et la lueur des lucioles, la Cave commença doucement à se remplir d'eau. En liquéfiant des rochers, Surt ouvrit une voie naturelle pour que l'eau s'écoule.
Depuis Terraba a la réputation d'être protégée du Démon en permanence. Parfois surnommée cité des lueurs, du aux reflets miroitants de la lumière des lucioles sur l'eau et les rochers, elle est le refuge naturel des survivants de l'attaque ultime de Subterrea. Les deux Caves ne sont séparées que par 2km.

Journal de Tim. 22 mars de l'an 956.

jeudi 27 octobre 2011

Epsiode 11 : Emether


Elle embrassa du regard les lueurs tremblotantes qui coulaient entre les stalactites, les reflets délicats dans l'eau et les embruns frais de la cascade. Pas à pas, lentement et sûrement, elle descendit des marches grossières de granit. Virevoltait sa cape rêche, une mèche rousse fuguant de la capuche.
Une fois dans les travées, aux yeux des passants, elle gardait une ligne hautaine et fière. Les marchands fermaient leurs étals, la regardaient de travers, puis, mine de rien, se hâtaient de rabattre leur stores de racines emmêlées. Des rumeurs s'élevaient de chaque coin, entre les murmures accompagnant la silhouette, et les braillements d'hommes ivres remontant des auberges et des bars.
Elle se souvenait de l'époque où elle se mêlait des batailles de bars, avec joie et surtout succès. La vieille pie pouvait attendre se dit-elle, et elle décida, une fois n'est pas coutume, d'aller défier les hommes orgueilleux et fiers. D'une traite elle abattit la travée principale, à grands pas et toujours suivie des yeux, et se positionna devant une enseigne chargée d'enluminures. 'Bast Terry' en grand, entouré de flammes d'or quelque peu assaillies par le temps, que de souvenirs, se dit-elle.
D'un coup de pied elle repoussa la porte grossièrement taillée dans la roche, et lança un regard aiguisé, et dissimulé, à toute la pièce. De vagues bancs de racines, autour de tables de pierres, surmontés par de nombreux hommes en liesse chantant tout ce que l'alcool leur inspirait. Une estrade centrale trônait, sur laquelle se battaient deux mastodontes aux muscles soigneusement huilés. L'un envoya un épais uppercut à la mâchoire de son adversaire qui s'effondra avec un cri.
D'un pas sûr elle s'approcha du barman qui lorgnait de son seul œil valide sur les opposants, veillant à ce qu'aucun d'eux n'abîment ses clients. La jeune fille déposa une bourse, laquelle attira l'attention de l'homme au cache-œil.
« Vous voulez parier ? » émit-il d'une voix rouillée.
« Non. Participer. »
Il dévisagea la silhouette, tête masquée par sa capuche, et fronça les sourcils. Puis il éclata de rire, et souffla :
« Bon retour demoiselle », puis lança au vainqueur sur l'estrade : « Ton prochain adversaire est là ! »
D'un pas lent, elle s'éleva sur l'estrade, et d'un geste emporté se débarrassa de son attirail. Les souffles se coupèrent dans la salle, tous jaugèrent la frêle jeune fille du regard. Il y eut des éclats de rires, et le public élança un encouragement vers le mastodonte : « Ecrase-là Tyrias ! »
La masse de muscle ricana et se jeta agressivement sur elle. Elle se glissa sous son bras et assena son pied entre les côtes, puis en sautant elle enchaîna avec une frappe du pied gauche placée dans l'arcade sourcilière. Le géant se prit le visage dans les mains, et, fou de rage, se saisit d'un pied de table et frappa de toute sa force. D'une torsion du poignet elle lui arracha son arme, et frappa la seconde arcade. Un nouveau saut la casa à cheval sur la nuque de l'adversaire ; elle se laissa tomber et étira les cervicales du colosse.
Elle se jeta au bas de l'estrade, et se revêtit.
« Le niveau est toujours aussi bas. »
Elle se rendit au bar, ramassa son dû et s'éloigna avec orgueil.
« Quand tu veux princesse », lui lança le barman.
Bon, retour chez la casse-pied, songea-t-elle. Elle parcourut les travées, lentement, cape virevoltante, faisant étalage de sa superbe. Elle détailla la travée, envahie de flèches de pierre brisées, mémoire du passage du Démon. Ce jour funeste l'avait marqué, ce jour funeste où Terrabâ faillit passer de vie à mort. Seul rempart était sa frêle silhouette, son sabre étincelant tranchant et coupant la peau épaisse et noire. Le sang acide lui avait rongé le bras et aujourd'hui encore une longue brûlure violette ceignait son épaule et son sein gauche. Elle devait l'admettre, elle y aurait laissé sa peau sans l'horrible petite vieille au violon. D'une note aiguë elle avait vrillé le démon, les lucioles avaient virevolté jusque dans sa gueule, vomissante d'acide et de lueurs. Il s'était enfui, laissant une Emether pale et tremblante, maculée de sang et d'acide. Surt fut ce jour-là son seul compagnon, il la berça de ses caresses, et la rassurant sur sa défaite cuisante. Hel et Jybie avaient poursuivi le démon, l'éloigner définitivement de Terrabâ.
C'est ce jour-là qu'était né le lac de luciole, au plafond de la cave. Lorsque le démon arriva en perçant la paroi, l'eau s'était engouffrée et les lucioles, affolées, gagnèrent la cave. Leur lueurs avaient rendu le Démon fou de rage, et en résulta le massacre des lieux.
L'incident, loin d'avoir réconcilié la vieille dame et la jeune fille, avait inscrit en Emether une haine profonde pour ce visage vieillit et rouillé. Et ce fut sur ces pensées qu'elle se posta face à l'entrée de la 'Cava Mirata'. A une heure où la clientèle s'était absentée. Elle poussa la porte et entra dans la pénombre.
Deux doigts lui pincèrent l'oreille et la forcèrent à se pencher.
« Toi ! » gronda la vieille dame. « Quand Hel te somme de te rendre ici, de suite, c'est de suite. Le gamin s'est enfui. »
Surt se glissa entre les chevilles noueuses, et se frotta sur la jambe de la jeune fille.
« Jybie a raison, malgré son manque de tact. Nous devons partir tout de suite, et le retard que tu nous inflige nous fait peut-être perdre le gamin. »
Emether piaffa. Encore un fardeau, ce garçon.

jeudi 20 octobre 2011

Episode 10 : L'auberge


Ses mains dansèrent entre les verres de céramique et les pichets de cristal, vinrent entamer une valse sur une anse ; et bientôt la anse dansa dans ses mains aux veines saillantes. La vieille femme posa délicatement un récipient face à elle, et elle laissa s'écouler une longue rasade de boisson.
« Un pichet de jus de racine pour le monsieur, » s'exclama-telle en donnant son dû à l'homme.
Le client remercia et gagna sa table, où un jeune garçon, et son compagnon, jouaient aux dés.
Le regard de la vieille ausculta la salle, considérant les nombreux clients. Peu d'entre eux étaient seuls et tous riaient à gorges déployées. Les uns parlaient avec les autres, et de longues discussions passionnées réunissaient les personnes présentes.
« Voilà Surt ce que j'aime dans ce métier. » laissa tomber Jybie, buvant d'un trait son propre verre.
« Quoi donc ? »
« La paix... Regarde les deux jeunes hommes à droite. »
L'aubergiste montra une table garnie de bougies de résine, où soupaient deux garçons, plus jeunes qu'Arkän.
« Ils en pincent pour la même fille, une petite allumeuse... Mais même s'ils sont rivaux dans le quotidien, ici c'est la trêve et ils sont bons camarades. » expliqua-t-elle en se resservant d'une généreuse rasade de jus.
« Comment peux-tu le savoir vieille mère ? » objecta Surt, avec malice.
La vieille dame éclata d'un grand rire.
« Surt, voyons. C'est mon auberge. Il est naturel que j'y aie une oreille qui traine un peu partout. »
« Et les affaires marchent bien par ici ? Pas de concurrence ? » amorça le fennec.
« Sur ce point, je suis comblée... Ma seule concurrente est également une cliente fidèle. Une jeune fille dynamique et très enjouée. De plus, j'ai quelques petites choses en plus. »
La musicienne fit glisser sur le sol une malle, et elle en révéla discrètement le contenu, ne levant qu'un angle de la boîte de résine noire. Surt y devina une corde, un objet de bois et un archet, et il fixa ensuite la vieille femme avec des yeux pétillants, regard qu'elle lui rendit avec amusement.
« A propos de cela, » lâcha Surt, « Qu'as-tu fait de notre jeune ami ? »
« Comme tu l'avais dit, j'ai pris soin de lui... Je lui ai fait danser les lucioles, et je lui ai aussi parler, longuement, de la mort d'Huyo, et de comment j'y ai survécu. Mais là, je présume qu'il dort, il m'avait dit qu'il était fatigué. »
« Tu crois qu'il s'en est remis ? »
« Surt, on ne se remet jamais vraiment de ces choses-là. On peut les accepter, mais rien ne pourra jamais les effacer. »
« Dans ce cas, crois-tu qu'il l'aie accepté ? »
« Je ne sais pas, au retour il m'a semblé plutôt bien. J'ai juste peur qu'il veuille la venger. »
« Il le faut pourtant, ou alors il n'aura jamais le courage de l'affronter. Il est nécessaire pour mes projets qu'il se remette et qu'il veuille rendre justice. »
« C'est agaçant. Avec toi, j'en viens à la conclusion que ce ne sont que les pièces d'un jeu dont tu as fixé les règles. A chaque fois. »
Elle lui adressa un regard empli de reproches.
« Revenons-en au plus important. Nous devons juste nous assurer qu'il n'y aille pas seul. Le monde a encore trop besoin de lui. »
« Pas nous, tu ! » corrigea-t-elle. « Je veux que tu me laisse en dehors de tes histoires de prophéties et de tes théories Surt. »
Un craquement sec retentit derrière la vieille dame et son comptoir laqué, et un jeune garçon encore tout ensommeillé vint se poser sur un tabouret, la tête soutenue par sa main. Il considéra d'un œil torve l'ensemble animé de l'auberge, puis s'intéressa un instant aux joueurs de dés. La musicienne lui offrit un grand sourire enthousiaste, tandis que Surt s'approcha de sa main et y déposa un affectueux coup de langue.
« Bonjour Surt, » lâcha-t-il, la voix enrouée et somnolente. « Bonjour Jybie. »
Arkän gratifia le fennec de caresses douces et néanmoins amples.
« Arkän, ça va mieux ? » s'enquit le petit renard.
« Ouais » lâcha-t-il, évasif. « C'est un gros trou dans ma vie. Tout le monde a des parents, et moi je les ai déjà perdus. »
Sa voix s'était froissée et ses yeux se mirent à briller dangereusement. Et ceux-ci soudain s'accrochèrent sur la table des deux garçons qui jouaient.
« Je reviens, je crois que j'ai envie de jouer ! »
Il se leva et se dirigea d'un pas sûr vers la table des joueurs.
« Salut ! Je peux jouer avec vous ? »
« Oui bien sur... Ca fait plus de gain possible ! » lui répondit un blond avec un sourire amusé.
Arkän garda une expression froide, s'assit et sortit sa bourse. Les deux joueurs, un blond et un brun, le considérèrent avec étonnement, puis échangèrent un sourire entendu. Le jeune garçon devina, qu'on avait décidé de le plumer.
« Cinq cents pièces d'or ! Pour deux quadruples ! »
Ils le regardèrent, stupéfait de le voir annoncer une telle somme. Ils se jetèrent un coup d'œil, soudain inquiétés par sa confiance.
Il prit les dés, les jeta, et tira deux quadruples. Les deux autres tentèrent leur chance, et n'obtinrent pas le résultat escompté qui leur aurait permis de se sortir d'affaire.
Quelques heures plus tard, Arkän avait mené avec nombres de clients des parties endiablées, et sans cesse en ressortait vainqueur. L'un des derniers perdants vint au bar, et lança :
« Dites donc ma p'tite dame, heureusement que l'gosse travaille pas pour vous. Il m'a plumé comme un chef. Comment fait-il ? »
« Il a une certaine expérience ! » avança Surt, avec amusement. « Il a beaucoup joué avec les gens de Subterrea ! »
« Subterrea hein ! C't'une grand' Cave comparée au p'tit village d'Terrabâ. Et qu'y f'siez-vous à Subterrea ? »
« Nous attendions des amis. De vieux amis. »
Surt loucha sur la table des joueurs, puis son regard retomba sur le perdant qui venait de se commander un grand verre de jus. Soudain sonna une vieille horloge de pierre, le pendule étincelant se balançant paresseusement.
« Ah, » laissa tomber Jybie avant de poursuivre : « C'est l'heure de s'y mettre. Voici Surt mon avantage incontestable sur l'autre établissement. »
Elle se saisit de la boîte de résine, se leva et alla vers une petite estrade dans un coin mal éclairé de l'auberge. Tout autour d'elle, les clients l'accompagnaient de cris en scandant : « Magicienne ! Magicienne ! ».
Une fois sur son petit promontoire, elle désolidarisa du mur un pan de roche, et sortit un bocal empli d'étoiles animales. Elle ouvrit son étui et en sortit l'admirable instrument, puis ouvrit le bocal laissant s'échapper les petites lueurs ; et enfin tira une longue note grave qui groupa les lucioles en une larmoyante boule de lumière. Elle esquissa un rythme enjoué aux notes élancées, et la boule tourna lentement, puis au fur et à mesure que le son accélérait, la boule s'enorgueillit d'une danse furieuse, se décomposant en pics de lumières. Le rythme s'apaisa soudain et tira une longue plainte qui fit retomber les lueurs en flocons.

jeudi 13 octobre 2011

Episode 9 : Fugitives


Une étoffe brune courait à toute vitesse, le bruit bref et rapide de ses bottes rythmant la poursuite. Derrière elle, suant sang et eau, trois gardes au pas lourd et maladroit vinrent à sa rencontre. Elle frappa l'un d'eux du plat de sa lame, l'envoya droit contre la paroi, puis elle bloqua son sabre entre deux pierres, s'éleva et assena deux coups de pieds dans chacun des faciès.
Au bout de la travée surgirent deux gardes armés de tridents, qui se précipitèrent vers elle. Elle reprit sa course effrénée, de son sabre qu'elle glissa entre les dents de la première arme elle la sauter des mains de son adversaire ; qu'elle envoya à terre avec un croc-en-patte. Elle frappa le second à la tempe, ne se servant que du manche de son glaive. Il s'effondra lourdement, et elle parvint à une cavité plus spacieuse que les travées, où une fontaine jaillissait dans de longs rideaux d'écume.
« Hel ! On a un délateur... Faut filer d'ici. »
La lynx jusqu'à présent roulée en boule contre la fontaine bondit sur ses pattes.
« Que se passe-t-il ? » argua l'animal.
« Ton charmant commerçant nous a dénoncé... Il faut qu'on y aille, la garde est déjà à mes trousses. »
Sitôt dit, sitôt démontré, un garde en armure fit son entrée sur la place, brandissant un épais mousqueton de fer.
« Rendez-vous démons ! » leur cria-t-il.
Hel s'avança avec calme, d'un pas lent et déterminé avant de lui répliquer :
« Vous vous méprenez... Nous ne le guidons pas ! Nous sommes là pour vous défendre lorsqu'il viendra ! »
« Mensonges ! » cria le garde. « Les démons mentent toujours. »
« Je peux vous jurer sur toutes les Caves, nous sommes ici pour vous protéger. » intervint la jeune fille en s'avançant à son tour.
« Ah oui ! » se récria l'homme, l'œil fou, et le visage chargé d'un rictus haineux. « Pourquoi êtes-vous toujours avant lui dans les Caves qu'il attaque ? Il vous suit, on le sait... »
« Nous le devançons sans cesse afin de protéger les habitants. Nous sommes les Gardiens de vos vies. » clama Emether.
« Tais-toi Emether, ça ne sert à rien. » lui lança la lynx.
« Vous le guidez ! Vous le guidez ! » se mit à hurler le garde sans plus de contenance.
Hel tapa d'une de ses pattes le sol, et un long filin de glace vint s'enrouler autour du garde, avant de s'engouffrer dans le canon du mousqueton. Les deux compagnes laissèrent le pauvre bougre gelé, et s'en allèrent dans une travée au pas de course.

jeudi 6 octobre 2011

Episode 8 : Son et lumière


Marche par marche, le garçon montait l'escalier de pierre blanche, revêtu de la seule lueur des ruisseaux de luciole. Devant lui sautait l'énergique vieille dame, agile comme une chèvre sur la rocaille abrupte. Elle ne semblait pas se soucier du vide, qui effrayait tant le jeune homme, et progressait à une vitesse affolante.
« Attendez-moi Jybie ! » cria-t-il, avec force afin de couvrir la cascade.
L'aubergiste fit volte face et considéra le jeune homme ; puis elle posa son paquetage et s'assit, la cascade en son dos lui mouillant les omoplates.
Le garçon s'extasia devant le spectacle incroyable qu'il discerna soudain : les lucioles virevoltèrent entre les eaux plongeantes et nimbèrent la vieille d'une aura dorée et frémissante. La lumière se décomposa au travers des écumes et sept couleurs vinrent enrichir le tableau qui cernait Jybie, qui elle souriait à Arkän, une main sur le paquetage.
« Allez, l'essentiel n'est pas là. Il va falloir presser le pas sinon... » glissa-t-elle dans un élégant sourire, lorsqu'enfin il fut à sa hauteur.
Il soupira en voyant la grand-mère se saisir avec entrain du rectangle de racines tressées qu'elle promenait et l'enfiler sur son épaule. Elle repartit en sautillant, et lui avança à nouveau ses jambes, d'un geste machinal tant la fatigue lui taraudait les muscles. Il contempla l'escalier qui grimpait jusqu'à une excroissance grisâtre, côtoyant la cascade et le plafond de la Cave, et la fière mamie qui bondissait joyeusement.
Il progressa, mu par le désir de savoir pourquoi il avait été emmené aussi rudement jusque là-haut, alors que la tristesse l'assaillait... Car d'ailleurs, une larme rejoignit les vapeurs de la chute d'eau, miroitant à la lumière du courant de luciole. Inéluctablement, la jetée de pierre, plus haut, s'approchait, et il finit enfin par y mettre le pied, trouvant une Jybie fumant une vieille pipe de pierre ponse. Elle s'était assise sur son chargement et contemplait le lac de luciole et les miroitements aquatiques, d'un œil pétillant et admiratif.
La vieille dame posa son fardeau, ouvrit l'étui de cuir, et en extirpa un objet luisant, fait d'une matière semblable aux racines. Elle en sortit aussi un bâton orné d'une maigre ficelle, qu'elle glissa sur l'instrument. Une longue note fusa dans l'air et alla ricocher sur les pierres étincelantes. Porté par le rugissement tempétueux des chutes, le son s'effilocha et transperça la Cave, ainsi que le cœur du garçon.
« Ceci Arkän, est mon bien le plus précieux. » lui confia l'aubergiste avec chaleur.
Alors Jybie se leva, appuya l'instrument sur son épaule, et arracha une longue plainte, déchirante et pénétrante. Le lac de luciole qui trônait à la voute pierreuse se troubla d'une longue vague lumineuse ; puis il tournoya avec force et ampleur, et se déploya en une tornade flamboyante dont la pointe vint caresser l'eau du lac. Une nouvelle note, grave et puissante, s'envola à leur rencontre, élimant le tourbillon jusqu'à ne laisser que des rideaux de lumière déchiquetés.
Et ainsi débuta le ballet des petites étincelles, pourchassant de farouches et véloces sonorités. Une gigue enflammée surgissait de l'union de la mamie et de son instrument, et nimbés d'un halo de lumière, ils resplendissaient sur la pierre grise.
Emerveillé par cette union de bruits, cet air inédit, pour lequel n'existait aucun mot, Arkän contemplait la merveilleuse vieille dame, jouant avec une évidente passion. Puis il se passionna pour le ballet de lueur et de reflets, les lentes ondulations de filins luminescents sur les parois.
Soudain, dans un ultime geste, Jybie lança une note allègre ; ensuite elle brisa la romance de l'archet et des cordes. Les lucioles remontèrent du fond de la Cave, et s'en retournèrent orner le plafond, telle de minuscules étoiles dans un ciel de pierre. Le silence tomba, violé par les tumultes du lac et des chutes blafardes, et Arkän renifla bruyamment. Quelques larmes coulaient encore, et il se tenait de dos à Jybie. Trahit par ses reniflements et ses gémissement, il sentit la main décharnée de la vieille dame serrer son épaule.
« Je sais que c'est dur Arkän ! »glissa-t-elle avec douceur, une pointe de douleur dans la voix.
Le garçon se tut, pleurant encore de longues larmes brillante. La vieille dame s'assit à coté de lui, violon et archet croisés sur ses genoux. Elle le considéra et risqua un petit sourire empli de compassion.
« Qu'est-ce que vous en savez vous ? » Son ton était âcre et froissé.
« J'ai perdu mon mari ainsi. Par la faute de Nexus, tout comme toi... »
« Je ne savais pas ! » se radoucit-il, baissant les yeux.
« Je veux que tu sache qu'il ne faut pas que tu te laisse submerger. C'est dur, et ta vie ne sera jamais plus la même. Mais si elle est partie, c'est qu'il le fallait. »
« En quoi était-ce nécessaire ? »
« Tu as des choses à faire. C'est ce que je ressens à ce sujet. »
Arkän resta encore un temps les yeux plantés dans le vide, ruisselant de larmes. La vieille femme le prit brièvement contre elle, avant de lui chuchoter :
« Quand j'ai perdu mon mari, c'est cet instrument qui m'a donné la force de survivre. J'étais au bord de l'abandon. Mais voir toutes ces petites lumières danser sur les mélodies que je jouais m'illuminai le cœur. Je crois aujourd'hui qu'elles sont le sang de notre monde, et qu'elles nourrissent le monde de leur clarté... Toi aussi Arkän, la danse des lucioles peut te sauver. Veux-tu qu'elles dansent pour toi ? »
Le jeune magicien hésita, le regard larmoyant. Il savait cependant que l'apaisante musique de Jybie et les lucioles qui dansaient refermait ses plaies, tout doucement.
« Oui ! » soupira-t-il, « Oui, faites les danser s'il vous plait... »
Un air funèbre s'étala alors dans toute la caverne, et le nuage de lucioles explosa en flocons étincelants. La tristesse s'en alla, mais secrètement, Arkän nourrit la haine, la colère qui en lui criait vengeance.